«À l’époque, c’était très difficile d’établir un diagnostic, Sortie du silence (5/6)
Le cas de Floriane Willemin, privée de communication avec le monde durant 26 ans, interroge. Aurait-on pu faire mieux? Dépister plus tôt ses capacités de récupération postcoma? Christian Kätterer, le neurologue bâlois qui la suit, répond. Selon lui, rares sont ceux qui reviennent d’aussi loin.
Le neurologue Christian Kätterer connaît bien le dossier de Floriane Willemin, lui qui la suit désormais dans le cadre de ses consultations à l’Hôpital du Jura. C’est à Bâle, au REHAB, la clinique spécialisée dans la réadaptation neurologique et paraplégique, que nous le retrouvons, devant deux gros classeurs. Le médecin chef adjoint du centre bâlois nous refait l’historique de la Jurassienne, depuis son admission à l’Hôpital de L’Île à Berne, le 24 mai 1992. Floriane Willemin présente alors un sévère traumatisme crânien accompagné de multiples contusions, des lésions diffuses axonales et de contusions du tronc cérébral. «Certains signes, notamment ses pupilles larges et grandes ouvertes, laissent penser qu’elle est en état de coma dépassé (n.d.l.r.: mort cérébrale) et qu’il n’y a pas grand signe de récupération à attendre», nous explique le Dr Kätterer en se replongeant dans les considérations de ses collègues bernois.
Le neurologue rencontre Floriane Willemin le 3 juin 1994, deux ans après son accident, dans le cadre d’une expertise menée alors qu’elle séjourne dans un home jurassien. Lors de cette évaluation, menée avec une thérapeute spécialisée, certains signes leur font penser que Floriane semble avoir dépassé le stade du coma et être en état de conscience minimale (apparition du rythme jour/nuit, capacité à bouger volontairement un pouce, réaction à la perception d’une forte lumière). Le spécialiste estimant qu’elle dispose d’un certain potentiel de récupération, Floriane est alors dirigée – deux ans et demi après son accident – vers une «rééducation de première heure» au REHAB.
Une lésion qui fausse le diagnostic
Avec le recul, le Dr Kätterer estime que les diagnostics établis lors des deux ans qui ont suivi l’accident étaient erronés. Toutefois, le neurologue ne charge pas ses collègues. «Lors de ces traumatismes très sévères, il est difficile d’établir un diagnostic, ce d’autant que dans le cas de Floriane, une lésion bilatérale qui a touché les nerfs optiques a pu induire en erreur. Cela a sans doute caché ses compétences de communication et un potentiel rééducatif. Pour nous médecins, c’était impossible de voir quand son cerveau a recommencé à fonctionner. Nous n’avions pas encore les moyens pour le faire.» «Le problème, poursuit-il, c’est que les gens qui dépassent l’état végétatif sont sousestimés. Après un traumatisme crânien aussi sévère, 40% de gens demeurent dans un état végétatif, 10% décèdent, les autres font une évolution individuelle, répartis entre ceux qui restent dans un état stable de conscience minimale et ceux qui progressent encore un peu. Mais rares sont ceux qui, comme «Flo», font une évolution communicative.»
Qu’en serait-il aujourd’hui?
Le neurologue est néanmoins surpris qu’elle ait formulé aussi vite le besoin d’écrire son histoire de vie: «C’est bien la preuve que la conscience est revenue.» Il estime toutefois qu’au vu de ses lésions cérébrales, il serait illusoire d’attendre de grande amélioration de son état. «Le but, aujourd’hui, est qu’elle puisse optimiser sa façon de communiquer.» «Je doute qu’avec les méthodes de l’époque, nous ayons pu détecter la capacité de Floriane à surpasser l’état de conscience minimale, estime le neurologue. Avec le savoir et les techniques actuelles (n.d.l.r.: imagerie cérébrale, explorations électrophysiologiques), peut-être aurait-elle pu profiter d’une assistance de communication plus tôt, reprend-il, même s’il faut préciser que cela n’aurait rien changé pour sa situation intégrale et sa situation de dépendance.» L’évolution inattendue de Floriane ne change pas sa pratique de dépistage: «Nous veillons toujours à ne pas rater quelque chose.»
Manque de structures
En filigrane, le président de la Société suisse de neuro-rééducation (SSNR) met le doigt sur le problème du placement, déplorant la quasi-absence de structures spécialisées vers lesquelles diriger les patients en situation de coma ou de conscience minimale qui sortent du REHAB par exemple. «On s’occupe des cas de première heure, juste après un accident. Mais une fois leur potentiel évalué, une fois passée la première rééducation, nous ne savons pas où les diriger: il n’y a pas de structure pour les accueillir. Et c’est partout comme ça. Les ressources manquent, le temps manque. (…) Par ailleurs, une fois les patients institutionnalisés, il est rare de pouvoir procéder à un nouveau dépistage, en raison des limites posées par les assurances.»
© Cet article est reproduit avec l’autorisation des Editions D+P SA, société éditrice du Quotidien Jurassien, 7 octobre 2022
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